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fort comme la mort

Était-il tombé simplement dans le piège tendu de sa coquetterie, qu’il avait flairé et compris depuis longtemps, et, circonvenu par ses manœuvres, subissait-il l’influence de cette fascination spéciale que donne aux femmes la volonté de plaire ?

Il marchait, s’asseyait, repartait, allumait des cigarettes et les jetait aussitôt ; et il regardait à tout instant l’aiguille de sa pendule, allant vers l’heure ordinaire d’une façon lente et immuable.

Plusieurs fois déjà, il avait hésité à soulever, d’un coup d’ongle, le verre bombé sur les deux flèches d’or qui tournaient, et à pousser la grande du bout du doigt jusqu’au chiffre qu’elle atteignait si paresseusement.

Il lui semblait que cela suffirait pour que la porte s’ouvrit et que l’attendue apparût, trompée et appelée par cette ruse. Puis il s’était mis à sourire de cette envie enfantine obstinée et déraisonnable.

Il se posa enfin cette question : « Pourrai-je devenir son amant ? » Cette idée lui parut singulière, peu réalisable, guère poursuivable aussi à cause des complications qu’elle pourrait amener dans sa vie.

Pourtant cette femme lui plaisait beaucoup et il conclut : « Décidément, je suis dans un drôle d’état. »

La pendule sonna, et le bruit de l’heure le fit tressaillir, ébranlant ses nerfs plus que son âme. Il l’attendit avec cette impatience que le retard accroît de seconde en seconde. Elle était toujours exacte ; donc, avant dix minutes, il la verrait entrer. Quand les dix minutes furent passées, il se sentit tourmenté comme à l’approche d’un chagrin, puis irrité qu’elle lui fit perdre du temps, puis il comprit brusquement que si elle ne venait pas, il allait beaucoup souffrir. Que