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fort comme la mort

seoir sur un fauteuil auprès de l’esquisse commencée ; et elle s’efforçait, selon la recommandation de l’artiste, de donner de l’expression à sa physionomie.

Vers le milieu de la quatrième séance, il cessa tout à coup de peindre et demanda :

— Qu’est-ce qui vous amuse le plus dans la vie ?

Elle demeura embarrassée.

― Mais je ne sais pas ! Pourquoi cette question ?

— Il me faut une pensée heureuse dans ces yeux-là, et je ne l’ai pas encore vue.

— Eh bien, tâchez de me faire parler, j’aime beaucoup causer.

— Vous êtes gaie ?

— Très gaie.

― Causons, Madame.

Il avait dit « causons, Madame » d’un ton très grave ; puis, se remettant à peindre, il tâta avec elle quelques sujets, cherchant un point sur lequel leurs esprits se rencontreraient. Ils commencèrent par échanger leurs observations sur les gens qu’ils connaissaient, puis ils parlèrent d’eux-mêmes, ce qui est toujours la plus agréable et la plus attachante des causeries.

En se retrouvant le lendemain, ils se sentirent plus à l’aise, et Bertin, voyant qu’il plaisait et qu’il amusait, se mit à raconter des détails de sa vie d’artiste, mit en liberté ses souvenirs avec le tour d’esprit fantaisiste qui lui était particulier.

Accoutumé à l’esprit composé des littérateurs de salon, elle fut surprise par cette verve un peu folle, qui disait les choses franchement, en les éclairant d’une ironie, et tout de suite elle répliqua sur le même ton, avec une grâce fine et hardie.