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fort comme la mort

Et lorsque la blonde et si jolie et si émouvante Marguerite lui répondit :

Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle,
Et je n’ai pas besoin qu’on me donne la main,


la salle entière fut soulevée par un immense frisson de plaisir.

Les acclamations, quand le rideau tomba, furent formidables, et Annette applaudit si longtemps que Bertin eut envie de lui saisir les mains pour la faire cesser. Son cœur était tordu par un nouveau tourment. Il ne parla point, pendant l’entr’acte, car il poursuivait dans les coulisses, de sa pensée fixe devenue haineuse, il poursuivait jusque dans sa loge, où il le voyait remettre du blanc sur ses joues, l’odieux chanteur qui surexcitait ainsi cette enfant.

Puis, la toile se leva sur l’acte du « Jardin ».

Ce fut tout de suite une sorte de fièvre d’amour qui se répandit dans la salle, car jamais cette musique, qui semblait n’être qu’un souffle de baisers, n’avait rencontré deux pareils interprètes. Ce n’étaient plus deux acteurs illustres, Montrosé et la Helsson, c’étaient deux êtres du monde idéal, à peine deux êtres, mais deux voix : la voix éternelle de l’homme qui aime, la voix éternelle de la femme qui cède ; et elles soupiraient ensemble toute la poésie de la tendresse humaine.

Quand Faust chanta :

Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage,


il y eut dans les notes envolées de sa bouche un tel accent d’adoration, de transport et de supplication que,