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fort comme la mort

jeune être-là, comme il n’avait jamais appartenu à l’autre, comme une barque qui coule appartient aux vagues !

Alors il se releva, et, pour ne plus voir cette apparition, il retourna la peinture ; puis comme il se sentait trempé de tristesse, il alla prendre dans sa chambre, pour le reporter dans l’atelier, le tiroir de son secrétaire où dormaient toutes les lettres de sa maîtresse. Elles étaient là comme en un lit, les unes sur les autres, formant une couche épaisse de petits papiers minces. Il enfonça ses mains dedans, dans toute cette prose qui parlait d’eux, dans ce bain de longue liaison. Il regardait cet étroit cercueil de planches où gisait cette masse d’enveloppes entassées, sur qui son nom, son nom seul était toujours écrit. Il songeait qu’un amour, que le tendre attachement de deux êtres l’un pour l’autre, que l’histoire de deux cœurs, étaient racontés là dedans, dans ce flot jauni de papiers que tachaient des cachets rouges, et il aspirait, en se penchant dessus, un souffle vieux, l’odeur mélancolique des lettres enfermées.

Il les voulut relire et, fouillant au fond du tiroir, prit une poignée des plus anciennes. À mesure qu’il les ouvrait, des souvenirs en sortaient précis, qui remuaient son âme. Il en reconnaissait beaucoup qu’il avait portées sur lui pendant des semaines entières, et il retrouvait, tout le long de la petite écriture qui lui disait des phrases si douces, les émotions oubliées d’autrefois. Tout à coup il rencontra sous ses doigts un fin mouchoir brodé. Qu’était-ce ? Il chercha quelques instants, puis se souvint ! Un jour, chez lui, elle avait sangloté parce qu’elle était un peu jalouse, et il lui vola, pour le garder, son mouchoir trempé de larmes !