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fort comme la mort

ensevelissait peu à peu sous le gris brumeux des soirs d’automne.

La pendule sonna.

— Il y a déjà longtemps que nous sommes ici, dit-elle. Vous devriez vous en aller, car on pourrait venir, et nous ne sommes pas calmes !

Il se leva, l’étreignit, baisant comme autrefois sa bouche entr’ouverte, puis ils retraversèrent les deux salons en se tenant le bras, comme des époux.

— Adieu, mon ami.

— Adieu, mon amie.

Et la portière retomba sur lui.

Il descendit l’escalier, tourna vers la Madeleine, se mit à marcher sans savoir ce qu’il faisait, étourdi comme après un coup, les jambes faibles, le cœur chaud et palpitant ainsi qu’une loque brûlante secouée en sa poitrine. Pendant deux heures, ou trois heures ou peut-être quatre, il alla devant lui, dans une sorte d’hébétement moral et d’anéantissement physique qui lui laissaient tout juste la force de mettre un pied devant l’autre. Puis il rentra chez lui pour réfléchir.

Donc il aimait cette petite fille ! Il comprenait maintenant tout ce qu’il avait éprouvé près d’elle depuis la promenade au parc Monceau quand il retrouva dans sa bouche l’appel d’une voix à peine reconnue, de la voix qui jadis avait éveillé son cœur, puis tout ce recommencement lent, irrésistible, d’un amour mal éteint, pas encore refroidi, qu’il s’obstinait à ne pas s’avouer.

Qu’allait-il faire ? Mais que pouvait-il faire ? Lorsqu’elle serait mariée, il éviterait de la voir souvent, voilà tout. En attendant, il continuerait à retourner dans la maison, afin qu’on ne se doutât de rien, et il cacherait son secret à tout le monde.