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fort comme la mort

— Prévenez-la que je voudrais lui parler.

Puis il glissa dans le salon, à pas légers, comme s’il eût craint d’être entendu.

Annette apparut presque aussitôt.

— Bonjour, cher maître, dit-elle avec gravité.

Il se mit à rire, lui serra la main, et, s’asseyant auprès d’elle :

— Devine pourquoi je suis venu ?

Elle chercha quelques secondes.

— Je ne sais pas.

— Pour t’emmener avec ta mère chez le bijoutier, choisir le bluet en saphirs que je t’ai promis à Roncières.

La figure de la jeune fille fut illuminée de bonheur.

— Oh ! dit-elle, et maman qui est sortie. Mais elle va rentrer. Vous l’attendrez, n’est-ce pas ?

— Oui, si ce n’est pas trop long.

— Oh ! quel insolent ! trop long, avec moi. Vous me traitez en gamine.

— Non, dit-il, pas tant que tu crois.

Il se sentait au cœur une envie de plaire, d’être galant et spirituel, comme aux jours les plus fringants de sa jeunesse, une de ces envies instinctives qui surexcitent toutes les facultés de séduction, qui font faire la roue aux paons et des vers aux poètes. Les phrases lui venaient aux lèvres, pressées, alertes ; et il parla comme il savait parler en ses bonnes heures. La petite, animée par cette verve, lui répondit avec toute la malice, avec toute la finesse espiègle qui germaient en elle. Tout à coup, comme il discutait une opinion, il s’écria :

― Mais vous m’avez déjà dit cela souvent, et je vous ai répondu…