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fort comme la mort

le ramenaient au même point, où il rencontrait une jeune figure blonde qui semblait embusquée pour l’attendre. C’était une vague et inévitable obsession flottant sur lui, tournant autour de lui et l’arrêtant, quel que fût le détour qu’il avait essayé pour fuir.

La confusion de ces deux êtres, qui l’avait si fort troublé le soir de leur promenade dans le parc de Roncières, recommençait en sa mémoire dès que, cessant de réfléchir et de raisonner, il les évoquait et s’efforçait de comprendre quelle émotion bizarre remuait sa chair. Il se disait : « Voyons, ai-je pour Annette plus de tendresse qu’il ne convient ? » Alors, fouillant son cœur, il le sentait brûlant d’affection pour une femme toute jeune, qui avait tous les traits d’Annette, mais qui n’était pas elle. Et il se rassurait lâchement en songeant : « Non, je n’aime pas la petite, je suis la victime de sa ressemblance. »

Cependant, les deux jours passés à Roncières restaient en son âme comme une source de chaleur, de bonheur, d’enivrement ; et les moindres détails lui revenaient un à un, précis, plus savoureux qu’à l’heure même. Tout à coup, en suivant le cours de ses ressouvenirs, il revit le chemin qu’ils suivaient en sortant du cimetière, les cueillettes de fleurs de la jeune fille, et il se rappela brusquement lui avoir promis un bluet en saphirs dès leur retour à Paris.

Toutes ses résolutions s’envolèrent, et, sans plus lutter, il prit son chapeau et sortit, tout ému par la pensée du plaisir qu’il lui ferait.

Le valet de pied des Guilleroy lui répondit, quand il se présenta :

— Madame est sortie, mais Mademoiselle est ici.

Il ressentit une joie vive.