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fort comme la mort

dans l’azur des figures rapides, des femmes gracieuses dans une allée du bois ou sur le trottoir d’une rue, des amoureux au bord de l’eau, toutes les fantaisies galantes où se complaisait sa pensée. Les images changeantes se dessinaient au ciel, vagues et mobiles dans l’hallucination colorée de son œil ; et les hirondelles qui rayaient l’espace d’un vol incessant de flèches lancées semblaient vouloir les effacer en les biffant comme des traits de plume.

Il ne trouvait rien. Toutes les figures entrevues ressemblaient à quelque chose qu’il avait fait déjà, toutes les femmes apparues étaient les filles ou les sœurs de celles qu’avait enfantées son caprice d’artiste ; et la crainte encore confuse, dont il était obsédé depuis un an, d’être vidé, d’avoir fait le tour de ses sujets, d’avoir tari son inspiration, se précisait devant cette revue de son œuvre, devant cette impuissance à rêver du nouveau, à découvrir de l’inconnu.

Il se leva mollement pour chercher dans ses cartons parmi ses projets délaissés s’il ne trouverait point quelque chose qui éveillerait une idée en lui.

Tout en soufflant sa fumée, il se mit à feuilleter les esquisses, les croquis, les dessins qu’il gardait enfermés en une grande armoire ancienne ; puis, vite dégoûté de ces vaines recherches, l’esprit meurtri par une courbature, il rejeta sa cigarette, siffla un air qui courait les rues, et, se baissant, ramassa sous une chaise un pesant haltère qui traînait.

Ayant relevé de l’autre main une draperie voilant la glace qui lui servait à contrôler la justesse des poses, à vérifier les perspectives, à mettre à l’épreuve la vérité, et s’étant placé juste en face, il jongla en se regardant.