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fort comme la mort

La bonne se récria :

— Oh ! oh ! Madame n’en est pas là ! En quelques jours de repos il n’y paraîtra plus. Mais il faut que Madame se promène et prenne bien garde de ne pas pleurer.

Aussitôt qu’elle fut habillée, la comtesse descendit au parc et, pour la première fois depuis la mort de sa mère, elle alla visiter le petit verger où elle aimait autrefois soigner et cueillir des fleurs, puis elle gagna la rivière et marcha le long de l’eau jusqu’à l’heure du déjeuner.

En s’asseyant à la table en face de son mari, à côté de sa fille, elle demanda pour savoir leur pensée :

— Je me sens mieux aujourd’hui. Je dois être moins pâle.

Le comte répondit :

— Oh ! vous avez encore bien mauvaise mine.

Son cœur se crispa, et une envie de pleurer lui mouilla les yeux, car elle avait pris l’habitude des larmes.

Jusqu’au soir, et le lendemain, et les jours suivants, soit qu’elle pensât à sa mère, soit qu’elle pensât à elle-même, elle sentit à tout moment des sanglots lui gonfler la gorge et lui monter aux paupières, mais pour ne pas les laisser s’épandre et lui raviner les joues, elle les retenait en elle, et par un effort surhumain de volonté, entraînant sa pensée sur des choses étrangères, la maîtrisant, la dominant, l’écartant de ses peines, elle s’efforçait de se consoler, de se distraire, de ne plus songer aux choses tristes, afin de retrouver la santé de son teint.

Elle ne voulait pas surtout retourner à Paris et recevoir Olivier Bertin avant d’être redevenue elle-même.