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fort comme la mort

Le marquis de Rocdiane laissait deviner ses maîtresses par des indications précises, femmes du monde dont il ne disait pas les noms, afin de les faire mieux deviner. Le banquier Liverdy désignait les siennes par leurs prénoms. Il racontait : « J’étais au mieux en ce moment-là, avec la femme d’un diplomate. Or, un soir en la quittant, je lui dis : ma petite Marguerite… » Il s’arrêtait au milieu des sourires, puis reprenait : « Hein ! j’ai laissé échapper quelque chose. On devrait prendre l’habitude d’appeler toutes les femmes Sophie. »

Olivier Bertin, très réservé, avait coutume de déclarer, quand on l’interrogeait :

— Moi, je me contente de mes modèles.

On feignait de le croire, et Landa, un simple coureur de filles, s’exaltait à la pensée de tous les jolis morceaux qui trottent par les rues, et de toutes les jeunes personnes déshabillées devant le peintre, à dix francs l’heure.

À mesure que les bouteilles se vidaient, tous ces grisons, comme les appelaient les jeunes du Cercle, tous ces grisons dont la face rougissait, s’allumaient, secoués de désirs réchauffés et d’ardeurs fermentées.

Rocdiane, après le café, tombait dans des indiscrétions plus véridiques et oubliait les femmes du monde pour célébrer les simples cocottes.

— Paris, disait-il, un verre de kümmel à la main, la seule ville où un homme ne vieillisse pas, la seule où, à cinquante ans, pourvu qu’il soit solide et bien conservé, il trouvera toujours une gamine de dix-huit ans, jolie comme un ange, pour l’aimer.

Landa, retrouvant son Rocdiane d’après les liqueurs,