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fort comme la mort

Tous les jours, elle pourrait venir ainsi, connue à son tour, saluée, enviée ; et des hommes, en la montrant, diraient peut-être qu’elle était belle. Elle cherchait ceux et celles qui lui paraissaient les plus élégants, et demandait toujours leurs noms, sans s’occuper d’autre chose que de ces syllabes assemblées qui, parfois, éveillaient en elle un écho de respect et d’admiration, quand elle les avait lues souvent dans les journaux ou dans l’histoire. Elle ne s’accoutumait pas à ce défilé de célébrités, et ne pouvait même croire tout à fait qu’elles fussent vraies, comme si elle eût assisté à quelque représentation. Les fiacres lui inspiraient un mépris mêlé de dégoût, la gênaient et l’irritaient, et elle dit soudain :

— Je trouve qu’on ne devrait laisser venir ici que les voitures de maître.

Bertin répondit :

— Eh bien, Mademoiselle, que fait-on de l’égalité, de la liberté et de la fraternité ?

Elle eut une moue qui signifiait « à d’autres » et reprit :

— Il y aurait un bois pour les fiacres, celui de Vincennes, par exemple.

— Tu retardes, petite, et tu ne sais pas encore que nous nageons en pleine démocratie. D’ailleurs, si tu veux voir le bois pur de tout mélange, viens le matin tu n’y trouveras que la fleur, la fine fleur de la société.

Et il fit un tableau, un de ceux qu’il peignait si bien, du bois matinal avec ses cavaliers et ses amazones, de ce club des plus choisis où tout le monde se connaît par ses noms, petits noms, parentés, titres, qualités et vices, comme si tous vivaient dans le même quartier ou dans la même petite ville.