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— Ah ! je vieillis. C’est triste. Autrefois, par des soirs pareils, je me sentais le diable au corps. Aujourd’hui je ne me sens plus que des regrets. Ça va vite, la vie !

Il était un peu gros déjà, vieux de quarante-cinq ans peut-être et très chauve.

L’autre, Pierre Carnier, un rien plus âgé, mais plus maigre et plus vivant, reprit :

— Moi, mon cher, j’ai vieilli sans m’en apercevoir le moins du monde. J’étais toujours gai, gaillard, vigoureux et le reste. Or, comme on se regarde chaque jour dans son miroir, on ne voit pas le travail de l’âge s’accomplir, car il est lent, régulier, et il modifie le visage si doucement que les transitions sont insensibles. C’est uniquement pour cela que nous ne mourons pas de chagrin après deux ou trois ans seulement de ravages. Car nous ne les pouvons apprécier. Il faudrait, pour s’en rendre compte, rester six mois sans regarder sa figure — oh ! alors quel coup ?

Et les femmes, mon cher, comme je les plains, les pauvres êtres. Tout leur bonheur,