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deux valets dans sa ferme qu’il dirigeait en madré compère, soigneux de ses intérêts, entendu dans les affaires et dans l’élevage du bétail, et dans la culture de ses terres. Ses deux fils et ses trois filles mariés avec avantage, vivaient aux environs, et venaient, une fois par mois, dîner avec le père. Sa vigueur était célèbre dans tout le pays d’alentour ; on disait en manière de proverbe : « Il est fort comme Saint-Antoine. »

Lorsque arriva l’invasion prussienne, Saint-Antoine, au cabaret, promettait de manger une armée, car il était hâbleur comme un vrai Normand, un peu couard et fanfaron. Il tapait du poing sur la table de bois, qui sautait en faisant danser les tasses et les petits verres, et il criait, la face rouge et l’œil sournois, dans une fausse colère de bon vivant : « Faudra que j’en mange, nom de Dieu ! » Il comptait bien que les Prussiens ne viendraient pas jusqu’à Tan-