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nos lettres

jamais de vous avoir dit ma tendresse. Je vous écrirai toujours, mais vous me rendrez toutes mes lettres, aussitôt reçues.

« Je vais vous choquer beaucoup, mon ami, si je vous dis la raison de cette exigence. Elle n’est pas poétique, comme vous le pensiez, mais pratique. J’ai peur, non de vous, certes, mais du hasard. Je suis coupable. Je ne veux pas que ma faute atteigne d’autres que moi.

« Comprenez-moi bien. Nous pouvons mourir, vous ou moi. Vous pouvez mourir d’une chute de cheval, puisque vous montez chaque jour ; vous pouvez mourir d’une attaque, d’un duel, d’une maladie de cœur, d’un accident de voiture, de mille manières, car, s’il n’y a qu’une mort, il y a plus de façons de la recevoir que nous n’avons de jours à vivre.

« Alors, votre sœur, votre frère et votre belle-sœur trouveront mes lettres ?

« Croyez-vous qu’ils m’aiment ? Moi, je ne le crois guère. Et puis, même s’ils m’adoraient, est-il possible que deux femmes et un homme, sachant un secret, — un secret pareil, — ne le racontent pas ?