Page:Maupassant - Chez le ministre (extrait de Gil Blas, édition du 1883-01-09).djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines.
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.


Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur orgueil d’un mirage doré ;


Ou penchés à l’avant des blanches caravelles
Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de l’océan des étoiles nouvelles.


Que conclure de cela. Que si MM. Zola ou Barbey d’Aurevilly tenaient à être décorés (ils n’y tiennent guère, heureusement pour eux), ils auraient un moyen bien simple d’y parvenir, c’est de se faire naturaliser Espagnols, Anglais ou Suisses, et on les nommerait, le lendemain, chevaliers de la Légion d’honneur, car il est indubitable qu’on vient de décorer M. de Heredia, écrivain français, uniquement parce qu’il est Espagnol.

Une autre raison s’oppose encore à la décoration des hommes de lettres. C’est qu’il est d’usage constant de ne donner la croix qu’à ceux qui l’ont demandée.

Cette règle est inflexible. Quand la démarche n’est pas faite personnellement elle doit être accomplie au moins par un ami. Il faut être souples, mes frères.

D’où il résulte ceci : ce n’est pas le gouvernement qui juge la valeur de l’homme qu’il va récompenser, mais c’est le candidat qui apprécie lui-même s’il est mûr pour cette distinction. Il se dit :