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bourgeois de tous les bourgeois, et l’avocat fit une allusion habile à ce surnom de « le bourgeois », donné par le pays à cet abandonné ; il s’écriait :

— N’est-ce pas une ironie, et une ironie capable d’exalter encore ce malheureux garçon qui n’a ni père ni mère ? C’est un ardent républicain. Que dis-je ? il appartient même à ce parti politique que la République fusillait et déportait naguère, qu’elle accueille aujourd’hui à bras ouverts, à ce parti pour qui l’incendie est un principe et le meurtre un moyen tout simple.

Ces tristes doctrines, acclamées maintenant dans les réunions publiques, ont perdu cet homme. Il a entendu des républicains, des femmes même, oui, des femmes ! demander le sang de M. Gambetta, le sang de M. Grévy ; son esprit malade a chaviré ; il a voulu du sang, du sang de bourgeois !

Ce n’est pas lui qu’il faut condamner, messieurs, c’est la Commune !

Des murmures d’approbation coururent. On sentait bien que la cause était gagnée pour l’avocat. Le ministère public ne résista pas.

Alors le président posa au prévenu la question d’usage :

— Accusé, n’avez-vous rien à ajouter pour votre défense ?

L’homme se leva.

Il était de petite taille, d’un blond de lin, avec des yeux gris, fixes et clairs. Une voix forte, franche et sonore sortait de ce frêle garçon et changeait brusquement, aux premiers mots, l’opinion qu’on s’était faite de lui.

Il parla hautement, d’un ton déclamatoire, mais si net