Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quel horizon ça vous ouvre dans les songes infinis, deux yeux de femme comme ceux-là ! Comme ça répond bien à l’attente éternelle et confuse de notre cœur !

Il faut dire aussi que, nous autres Français, nous adorons les étrangères. Aussitôt que nous rencontrons une Russe, une Italienne, une Suédoise, une Espagnole ou une Anglaise un peu jolie, nous en tombons amoureux instantanément. Tout ce qui vient du dehors nous enthousiasme, drap pour culottes, chapeaux, gants, fusils et… femmes. Nous avons tort, cependant.

Mais je crois que ce qui nous séduit le plus dans les exotiques, c’est leur défaut de prononciation. Aussitôt qu’une femme parle mal notre langue, elle est charmante ; si elle fait une faute de français par mot, elle est exquise, et si elle baragouine d’une façon tout à fait inintelligible, elle devient irrésistible.

Tu ne te figures pas comme c’est gentil d’entendre dire à une mignonne bouche rose : « J’aimé bôcoup la gigotte. »

Ma petite Anglaise Kate parlait une langue invraisemblable. Je n’y comprenais rien dans les premiers jours, tant elle inventait de mots inattendus : puis, je devins absolument amoureux de cet argot comique et gai.

Tous les termes estropiés, bizarres, ridicules, prenaient sur ses lèvres un charme délicieux ; et nous avions, le soir, sur la terrasse du Casino, de longues conversations qui ressemblaient à des énigmes parlées.

Je l’épousai ! Je l’aimais follement comme on peut aimer un Rêve. Car les vrais amants n’adorent jamais qu’un rêve qui a pris une forme de femme.