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cueillit sur notre radeau, et on nous ramena à Saint-Martin.

« L’Anglais, maintenant, se frottait les mains et murmurait :

« — Bonne souper ! bonne souper !

« On soupa, en effet. Je ne fus pas gai, je regrettais le Marie-Joseph.

« Il fallut se séparer, le lendemain, après beaucoup d’étreintes et de promesses de s’écrire. Ils partirent vers Biarritz. Peu s’en fallut que je ne les suivisse.

« J’étais toqué ; je faillis demander cette fillette en mariage. Certes, si nous avions passé huit jours ensemble, je l’épousais ! Combien l’homme, parfois, est faible et incompréhensible !

« Deux ans s’écoulèrent sans que j’entendisse parler d’eux ; puis je reçus une lettre de New-York. Elle était mariée, et me le disait. Et, depuis lors, nous nous écrivons tous les ans, au 1er janvier. Elle me raconte sa vie, me parle de ses enfants, de ses sœurs, jamais de son mari ! Pourquoi ? Ah ! pourquoi ?… Et, moi, je ne lui parle que du Marie-Joseph… C’est peut-être la seule femme que j’aie aimée… non… que j’aurais aimée… Ah !… voilà… sait-on ?… Les événements vous emportent… Et puis… et puis… tout passe… Elle doit être vieille, à présent… je ne la reconnaîtrais pas… Ah ! celle d’autrefois… celle de l’épave… quelle créature… divine ! Elle m’écrit que ses cheveux sont tout blancs… Mon Dieu !… ça m’a fait une peine horrible… Ah ! ses cheveux blonds… Non, la mienne n’existe plus… Que c’est triste… tout ça !… »