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froid et du péril, heureux de ces longues heures d’ombre et d’angoisse à passer sur cette planche, si près de cette jolie et mignonne fillette.

« Je me demandais pourquoi cette étrange sensation de bien-être et de joie qui me pénétrait.

« Pourquoi ? Sait-on ? Parce qu’elle était là ? Qui, elle ? Une petite Anglaise inconnue ? Je ne l’aimais pas, je ne la connaissais point, et je me sentais attendri, conquis ! J’aurais voulu la sauver, me dévouer pour elle, faire mille folies ? Étrange chose ! Comment se fait-il que la présence d’une femme nous bouleverse ainsi ! Est-ce la puissance de sa grâce qui nous enveloppe ? la séduction de la joliesse et de la jeunesse qui nous grise comme ferait le vin ?

« N’est-ce pas plutôt une sorte de toucher de l’amour, du mystérieux amour qui cherche sans cesse à unir les êtres, qui tente sa puissance dès qu’il a mis face à face l’homme et la femme, et qui les pénètre d’émotion, d’une émotion confuse, secrète, profonde, comme on mouille la terre pour y faire pousser des fleurs !

« Mais le silence des ténèbres devenait effrayant, le silence du ciel, car nous entendions autour de nous, vaguement, un bruissement léger, infini, la rumeur de la mer sourde qui montait et le monotone clapotement du courant contre le bateau.

« Tout à coup, j’entendis des sanglots. La plus petite des Anglaises pleurait. Alors son père voulut la consoler, et ils se mirent à parler dans leur langue, que je ne comprenais pas. Je devinai qu’il la rassurait et qu’elle avait toujours peur.

« Je demandai à ma voisine :