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avec trois jeunes filles, ou plutôt un grand Anglais avec trois misses. Assurément, ils eurent encore plus peur que moi en voyant surgir cet être rapide sur le trois-mâts abandonné. La plus jeune des fillettes se sauva ; les deux autres saisirent leur père à pleins bras ; quant à lui, il avait ouvert la bouche ; ce fut le seul signe qui laissa voir son émotion.

« Puis, après quelques secondes, il parla :

« — Aoh, môsieu, vos été la propriétaire de cette bâtiment ?

« — Oui, monsieur.

« — Est-ce que je pôvé la visiter ?

« — Oui, monsieur.

« Il prononça alors une longue phrase anglaise, où je distinguai seulement ce mot : gracious, revenu plusieurs fois.

« Comme il cherchait un endroit pour grimper, je lui indiquai le meilleur et je lui tendis la main. Il monta ; puis nous aidâmes les trois fillettes, rassurées. Elles étaient charmantes, surtout l’aînée, une blondine de dix-huit ans, fraîche comme une fleur, et si fine, si mignonne ! Vraiment les jolies Anglaises ont bien l’air de tendres fruits de la mer. On aurait dit que celle-là venait de sortir du sable et que ses cheveux en avaient gardé la nuance. Elles font penser, avec leur fraîcheur exquise, aux couleurs délicates des coquilles roses et aux perles nacrées, rares, mystérieuses, écloses dans les profondeurs inconnues des océans.

« Elle parlait un peu mieux que son père ; et elle nous servit d’interprète. Il fallut raconter le naufrage dans ses