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mes de son père et de sa mère, dont elle ne dirait jamais les noms, jamais. Il était inutile de les lui demander, inutile de la supplier, elle ne le dirait pas. Comme je tenais peu à les savoir, je l’interrogeai sur sa fortune. Elle en parla aussitôt en femme pratique, sûre d’elle, sûre des chiffres, des titres, des revenus, des intérêts et des placements. Sa compétence en cette matière me donna aussitôt une grande confiance en elle, et je devins galant, avec réserve cependant ; mais je lui montrai clairement que j’avais du goût pour elle.

Elle marivauda, non sans grâce. Je lui offris du champagne, et j’en bus, ce qui me troubla les idées. Je sentis alors clairement que j’allais devenir entreprenant, et j’eus peur, peur de moi, peur d’elle, peur qu’elle ne fût aussi un peu émue et qu’elle ne succombât. Pour me calmer, je recommençai à lui parler de sa dot, qu’il faudrait établir d’une façon précise, car mon client était homme d’affaires.

Elle répondit avec gaieté :

— Oh ! je sais. J’ai apporté toutes les preuves.

— Ici, à Rouen ?

— Oui, à Rouen.

— Vous les avez à l’hôtel ?

— Mais oui.

— Pouvez-vous me les montrer ?

— Mais oui.

— Ce soir.

— Mais oui.

Cela me sauvait de toutes les façons. Je payai l’addition, et nous voici rentrant chez elle.