Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et tous deux regardaient le feu, rêvant à n’importe quoi, en l’un de ces silences amis des gens qui n’ont point besoin de parler toujours pour se plaire l’un près de l’autre.

Et soudain une grosse bûche, une souche hérissée de racines enflammées, croula. Elle bondit par-dessus les chenets, et, lancée dans le salon, roula sur le tapis en jetant des éclats de feu tout autour d’elle.

La vieille femme, avec un petit cri, se dressa comme pour fuir, tandis que lui, à coup de botte, rejetait dans la cheminée l’énorme charbon et ratissait de sa semelle toutes les éclaboussures ardentes répandues autour.

Quand le désastre fut réparé, une forte odeur de roussi se répandit ; et l’homme se rasseyant en face de son amie, la regarda en souriant : « Et voilà, dit-il en montrant la bûche replacée dans l’âtre, voilà pourquoi je ne me suis jamais marié. »

Elle le considéra, tout étonnée, avec cet œil curieux des femmes qui veulent savoir, cet œil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes, où la curiosité est réfléchie, compliquée, souvent malicieuse ; et elle demanda : « Comment ça ? »

Il reprit : « Oh ! c’est toute une histoire, une assez triste et vilaine histoire.

Mes anciens camarades se sont souvent étonnés du froid survenu tout à coup entre un de mes meilleurs amis qui s’appelait, de son petit nom, Julien, et moi. Ils ne comprenaient point comment deux intimes, deux inséparables comme nous étions, avaient pu tout à coup devenir presque étrangers l’un à l’autre. Or, voici le secret de notre éloignement.