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champs recommença. Silencieux, le vieillard se tenait aux côtés du lieutenant. Sa fille marchait près de lui. Tout à coup elle s’arrêta.

— Père, dit-elle, je suis si fatiguée que je n’irai pas plus loin.

Et elle s’assit. Elle tremblait de froid et paraissait prête à mourir. Son père voulut la porter. Il était trop vieux et trop faible.

— Mon lieutenant, dit-il en sanglotant, nous gênerions votre marche. La France avant tout. Laissez-nous.

L’officier avait donné un ordre. Quelques hommes étaient partis. Ils revinrent avec des branches coupées. Alors, en une minute, une litière fut faite. Le détachement tout entier les avait rejoints.

— Il y a là une femme qui meurt de froid, dit le lieutenant ; qui veut donner son manteau pour la couvrir ?

Deux cents manteaux furent détachés.

— Qui veut la porter maintenant ?

Tous les bras s’offrirent. La jeune fille fut enveloppée dans ces chaudes capotes de soldat, couchée doucement sur la litière, puis quatre épaules robustes l’enlevèrent ; et, comme une reine d’Orient portée par ses esclaves, elle fut placée au milieu du détachement, qui reprit sa marche plus fort, plus courageux, plus allègre, réchauffé par la présence d’une femme, cette sou-