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un sérail d’un monastère de religieuses. » — « Mais que vas-tu faire de cette horreur ? » nous écriâmes-nous. — « Eh parbleu, j’en ferai mon bouton de sonnette pour effrayer mes créanciers. » — « Mon ami, dit Henri Smith, un grand Anglais très flegmatique, je crois que cette main est tout simplement de la viande indienne conservée par un procédé nouveau, je te conseille d’en faire du bouillon. » — « Ne raillez pas, Messieurs, reprit avec le plus grand sang-froid un étudiant en médecine aux trois quarts gris, et toi, Pierre, si j’ai un conseil à te donner, fais enterrer chrétiennement ce débris humain, de crainte que son propriétaire ne vienne te le redemander ; et puis, elle a peut-être pris de mauvaises habitudes cette main, car tu sais le proverbe : « Qui a tué tuera. » — « Et qui a bu boira », reprit l’amphitryon ; là-dessus il versa à l’étudiant un grand verre de punch, l’autre l’avala d’un seul trait et tomba ivre-mort sous la table. Cette sortie fut accueillie par des rires formidables, et Pierre élevant son verre et saluant la main : « Je bois, dit-il, à la prochaine visite de ton maître », puis on parla d’autre chose et chacun rentra chez soi.

Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j’entrai chez lui, il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. « Eh bien, comment vas-tu ? » lui dis-je. — « Très bien », me répondit-il. — « Et ta main ? » — « Ma main, tu as dû la