Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
première neige

Mais elle vivait maintenant avec la peur de guérir, avec la peur des longs hivers de Normandie ; et, sitôt qu’elle allait mieux, elle ouvrait, la nuit, sa fenêtre, en songeant aux doux rivages de la Méditerranée.

À présent, elle va mourir ; elle le sait. Elle est heureuse.

Elle déploie un journal qu’elle n’avait point ouvert, et lit ce titre : « La première neige à Paris. »

Alors elle frissonne, et puis sourit. Elle regarde là-bas l’Esterel qui devient rose sous le soleil couchant ; elle regarde le vaste ciel bleu, si bleu, la vaste mer bleue, si bleue, et se lève.

Et puis elle rentre, à pas lents, s’arrêtant seulement pour tousser, car elle est demeurée trop tard dehors, et elle a eu froid, un peu froid.

Elle trouve une lettre de son mari. Elle l’ouvre en souriant toujours, et elle lit :

« Ma chère amie,

« J’espère que tu vas bien et que tu ne regrettes pas trop notre beau pays. Nous avons depuis quelques jours une bonne gelée qui annonce la neige. Moi, j’adore ce temps-là et tu comprends que je me garde bien d’allumer ton maudit calorifère… »

Elle cesse de lire, tout heureuse à cette idée qu’elle l’a eu son calorifère. Sa main droite, qui tient la lettre, retombe lentement sur ses genoux, tandis qu’elle porte à sa bouche sa main gauche comme pour calmer la toux opiniâtre qui lui déchire la poitrine.