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première neige

Elle balbutia :

— Cela nous distrairait un peu.

Il ne comprenait pas :

— Qu’est-ce qu’il te faut pour te distraire ? Des théâtres, des soirées, des dîners en ville ? Tu savais pourtant bien en venant ici que tu ne devais pas t’attendre à des distractions de cette nature !

Elle vit un reproche dans ces paroles et dans le ton dont elles étaient dites. Elle se tut. Elle était timide et douce, sans révoltes et sans volonté.

En janvier, les froids revinrent avec violence. Puis la neige couvrit la terre.

Un soir, comme elle regardait le grand nuage tournoyant des corbeaux se déployer autour des arbres, elle se mit, malgré elle, à pleurer.

Son mari entrait. Il demanda tout surpris :

— Qu’est-ce que tu as donc ?

Il était heureux, lui, tout à fait heureux, n’ayant jamais rêvé une autre vie, d’autres plaisirs. Il était né dans ce triste pays, il y avait grandi, il s’y trouvait bien, chez lui, à son aise de corps et d’esprit.

Il ne comprenait pas qu’on pût désirer des événements, avoir soif de joies changeantes ; il ne comprenait point qu’il ne semble pas naturel à certains êtres de demeurer aux mêmes lieux pendant les quatre saisons ; il semblait ne pas savoir que le printemps, que l’été, que l’automne, que l’hiver ont, pour des multitudes de personnes, des plaisirs nouveaux en des contrées nouvelles.

Elle ne pouvait rien répondre et s’essuyait vivement les yeux. Elle balbutia enfin, éperdue :

— J’ai… je… je suis un peu triste… je m’ennuie un peu…