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première neige

Plus âpre, plus pénétrant encore que l’autre année, le froid la faisait continuellement souffrir. Elle tendait aux grandes flammes ses mains grelottantes. Le feu flamboyant lui brûlait le visage ; mais des souffles glacés semblaient se glisser dans son dos, pénétrer entre la chair et les étoffes. Et elle frémissait de la tête aux pieds. Des courants d’air innombrables paraissaient installés dans les appartements, des courants d’air vivants, sournois, acharnés comme des ennemis. Elle les rencontrait à tout instant ; ils lui soufflaient sans cesse, tantôt sur le visage, tantôt sur les mains, tantôt sur le cou, leur haine perfide et gelée.

Elle parla de nouveau d’un calorifère ; mais son mari l’écouta comme si elle lui eût demandé la lune. L’installation d’un appareil semblable à Parville lui paraissait aussi impossible que la découverte de la pierre philosophale.

Ayant été à Rouen, un jour, pour affaire, il rapporta à sa femme une mignonne chaufferette de cuivre qu’il appelait en riant un « calorifère portatif » ; et il jugeait que cela suffirait désormais à l’empêcher d’avoir jamais froid.

Vers la fin de décembre, elle comprit qu’elle ne pourrait vivre ainsi toujours, et elle demanda timidement, un soir, en dînant :

— Dis donc, mon ami, est-ce que nous n’irons point passer une semaine ou deux à Paris avant le printemps ?

Il fut stupéfait.

— À Paris ? à Paris ? Mais pour quoi faire ? Ah ! mais non, par exemple ! On est trop bien ici, chez soi. Quelles drôles d’idées tu as par moments !