Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
298
le vengeur

voulu me démontrer comme quoi les petits hommes sont toujours plus aimés que les grands.

Et il se lançait en des réflexions désagréables pour le défunt qui était petit, et discrètement avantageuses pour lui, Leuillet, qui était grand.

Et Mme Leuillet lui laissait entendre qu’il avait bien raison, bien raison ; et elle riait de tout son cœur, se moquant doucement de l’ancien époux pour le plus grand plaisir du nouveau qui finissait toujours par ajouter :

— C’est égal, ce Souris, quel godiche.

Ils étaient heureux, tout à fait heureux. Et Leuillet ne cessait de prouver à sa femme son amour inapaisé par toutes les manifestations d’usage.

Or, une nuit, comme ils ne parvenaient point à s’endormir, émus tous deux par un regain de jeunesse, Leuillet qui tenait sa compagne étroitement serrée en ses bras et qui l’embrassait à pleines lèvres, lui demanda tout à coup :

— Dis donc, chérie.

— Hein ?

— Souris… c’est difficile ce que je vais te demander

— Souris était-il bien… bien amoureux ?

Elle lui rendit un gros baiser, et murmura : « Pas tant que toi, mon chat. »

Il fut flatté dans son amour-propre d’homme et reprit : « Il devait être… godiche… dis ? »

Elle ne répondit pas. Elle eut seulement un petit rire de malice en cachant sa figure dans le cou de son mari.

Il demanda : « Il devait être très godiche, et pas… pas… comment dirais-je… pas habile ? »