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une soirée

À la fin la danse s’arrêta.

Me Saval prononça :

— Messieurs…

Un grand garçon blond et barbu jusqu’au nez lui coupa la parole :

— Comment vous appelez-vous, mon ami ?

Le notaire, effaré, prononça :

— Je suis Me Saval.

Une voix cria :

— Tu veux dire Baptiste.

Une femme dit :

— Laissez-le donc tranquille, ce garçon ; il va se fâcher à la fin. Il est payé pour nous servir et pas pour se faire moquer de lui.

Alors Me Saval s’aperçut que chaque invité apportait ses provisions. L’un tenait une bouteille et l’autre un pâté. Celui-ci un pain, celui-là un jambon.

Le grand garçon blond lui mit dans les bras un saucisson démesuré et commanda :

— Tiens, va dresser le buffet dans le coin, là-bas. Tu mettras les bouteilles à gauche et les provisions à droite.

Saval, perdant la tête, s’écria :

— Mais, messieurs, je suis un notaire !

Il y eut un instant de silence, puis un rire fou. Un monsieur soupçonneux demanda :

— Comment êtes-vous ici ?

Il s’expliqua, raconta son projet d’écouter l’Opéra, son départ de Vernon, son arrivée à Paris, toute sa soirée.

On s’était assis autour de lui pour l’écouter ; on lui lançait des mots ; on l’appelait Schéhérazade.