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la serre

plus ! Non ! certainement elle ne le reverrait plus ! Et elle tomba à genoux en sanglotant.

Deux coups légers contre la porte de la chambre la firent se redresser d’un bond. M. Lerebour l’appelait : « Ouvre donc, Palmyre, c’est moi. » Elle s’élança, ouvrit, et debout devant lui, les poings sur les hanches, les yeux encore pleins de larmes : « D’où viens-tu, sale bête ! Ah ! tu me laisses comme ça à crever de peur toute seule ! Ah ! tu ne t’inquiètes pas plus de moi que si je n’existais pas !… »

Il avait refermé la porte ; et il riait, il riait comme un fou, les deux joues fendues par sa bouche, les mains sur son ventre, les yeux humides.

Mme Lerebour, stupéfaite, se tut.

Il bégayait : « C’était… c’était… Céleste qui avait un… un… un rendez-vous dans la serre… Si tu savais ce que… ce que… ce que j’ai vu… »

Elle était devenue blême, étouffant d’indignation. « Hein ?… tu dis ?… Céleste ?… chez moi ?… dans ma… ma… ma maison… dans ma… ma… dans ma serre. Et tu n’as pas tué l’homme, un complice ! Tu avais un revolver et tu ne l’as pas tué ?… Chez moi… chez moi !… »

Elle s’assit, n’en pouvant plus.

Il battit un entrechat, fit les castagnettes avec ses doigts, claqua de la langue, et, riant toujours : « Si tu savais… si tu savais… »

Brusquement, il l’embrassa.

Elle se débarrassa de lui. Et la voix coupée par la colère : « Je ne veux pas que cette fille reste un jour de plus chez moi, tu entends ? Pas un jour… pas une heure ! Quand elle va rentrer, nous allons la jeter dehors… »