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encore confus dans son esprit, qu’il saurait assurément faire naître et seconder.

Il avait eu au régiment des succès de garnison, des bonnes fortunes faciles et même des aventures dans un monde plus élevé, ayant séduit la fille d’un percepteur, qui voulait tout quitter pour le suivre, et la femme d’un avoué, qui avait tenté de se noyer par désespoir d’être délaissée.

Ses camarades disaient de lui : « C’est un malin, c’est un roublard, c’est un débrouillard qui saura se tirer d’affaire. » Et il s’était promis, en effet, d’être un malin, un roublard et un débrouillard.

Sa conscience native de Normand, frottée par la pratique quotidienne de l’existence de garnison, distendue par les exemples de maraudages en Afrique, de bénefs illicites, de supercheries suspectes, fouettée aussi par les idées d’honneur qui ont cours dans l’armée, par les bravades militaires, les sentiments patriotiques, les histoires magnanimes racontées entre sous-offs et par la gloriole du métier, était devenue une sorte de boîte à triple fond où l’on trouvait de tout.

Mais le désir d’arriver y régnait en maître.

Il s’était remis, sans s’en apercevoir, à rêvasser comme il faisait chaque soir. Il imaginait une aventure d’amour magnifique qui