Page:Maupassant - Bel-Ami, OC, Conard, 1910.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

détestait et redoutait les nouveaux venus. Il répondit d’un air sec :

— Oui, excellent, à condition que la suite soit dans la note, car c’est là la grande difficulté ; la note juste, ce qu’en musique on appelle le ton.

Mme  Forestier couvrait Duroy d’un regard protecteur et souriant, d’un regard de connaisseur qui semblait dire : « Toi, tu arriveras. » Mme  de Marelle s’était, à plusieurs reprises, tournée vers lui, et le diamant de son oreille tremblait sans cesse, comme si la fine goutte d’eau allait se détacher et tomber.

La petite fille demeurait immobile et grave, la tête baissée sur son assiette.

Mais le domestique faisait le tour de la table, versant dans les verres bleus du vin de Johannisberg ; et Forestier portait un toast en saluant M. Walter : « À la longue prospérité de la Vie Française ! »

Tout le monde s’inclina vers le Patron, qui souriait, et Duroy, gris de triomphe, but d’un trait. Il aurait vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ; il aurait mangé un bœuf, étranglé un lion. Il se sentait dans les membres une vigueur surhumaine, dans l’esprit une résolution invincible et une espérance infinie. Il était chez lui, maintenant, au milieu de ces gens ; il venait d’y prendre position, d’y