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s’informer près d’elle quelles toilettes il fallait emporter pour passer quelque temps dans cette ville, il écrivit : « Qu’est-ce que Bayeux ? Faut-il y porter des nègres, des équipages, des diamants, des dentelles, des cachemires, de la cavalerie ou de l’infanterie, c’est-à-dire des robes décolletées ou colletées… Sur quelle clé chante-t-on ? Sur quel pied danse-t-on ? Sur quel bord marche-t-on ? Sur quel ton parle-t-on ? Quelles personnes voit-on ? Tontaine, ton, ton. » Il a ainsi beaucoup de lettres fort amusantes.

Mais l’esprit disparaît bientôt, car la misère et le malheur l’écrasent. « Je n’ai même pas eu de revers, dit-il, j’ai toujours été courbé sous un poids terrible. » — On ne trouve plus dans ses lettres que de la grandeur et de la tendresse.

Il traversa des jours de désespoir, mais son courage surhumain ne l’abandonna jamais tout à fait. Il disait dès sa jeunesse : « Non, maman, je ne fuirai pas ma bonne vache enragée. J’aime ma vache. »

Hélas, sa vache le lui rendit bien.

Il eut cependant, au milieu de ses adversités, toutes les plus douces consolations que pouvait désirer son âme. Elles lui vinrent des femmes, ses fidèles amies. Il était avide de leur tendresse ; il la chercha toute sa vie. Presque adolescent encore, il écrivait : « Mon assiette est vide, et j’ai faim. Laure, Laure, mes deux seuls et immenses désirs, être célèbre et être aimé, seront-ils jamais satisfaits. » Puis plus tard : « Me consacrer au bonheur d’une femme est pour moi un rêve perpétuel. » Une autre fois, après une de ces périodes de travail fou qui l’ont tué, lassé d’écrire, il se tournait vers cet amour qu’il appelait sans cesse et il s’écriait : « Vrai, je mérite bien d’avoir une maîtresse ; et tous les jours mon chagrin s’accroît de n’en point avoir, parce que l’amour, c’est ma vie et mon essence. »