Page:Maupassant - Autres temps (extrait de Gil Blas, édition du 1882-06-14).djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chent à côté de leur pied chaussé d’un soulier grand comme une barque de pêche ; et une mare de salive marque la place de chacun.

En face du juge, juste de l’autre côté de la table, les plaideurs dont la cause est appelée.

La plaignante est une dame de la campagne, dont la cinquantaine couperosée flamboie sous un chapeau légumier qui semble chargé d’asperges en graine, de radis et d’oignons montés. Elle est sèche, pointue, horrible et prétentieuse, avec des gants de tricot ; et les rubans de sa coiffure voltigent autour de sa tête comme les drapeaux d’un navire.

Le prévenu, gros gars de vingt-huit ans, joufflu, niais, semble un enfant de chœur engraissé et grossi trop vite. Elle et lui se lancent des regards féroces.

Il est assisté, soutenu par son père, vieux paysan tout pareil à un rat, et par sa jeune femme, rouge de fureur, mais fraîche aussi, grande fille de ferme saine et pommadée, chair à reproduction bonne à primer dans un concours.

Voici les faits. La dame, veuve d’un officier de santé, avait élevé à la brochette