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AUTRES TEMPS



Quand un gentilhomme, au siècle dernier, ruinait galamment sa maîtresse, il en acquérait aussitôt un surcroît de bonne réputation. Si la maîtresse ainsi dépouillée était une grande dame, si, abandonnée aussitôt sa bourse vide, elle était remplacée par une autre que le séducteur dévalisait avec la même aisance et le même appétit, il devenait, lui, un roué, un homme à la mode, considéré, envié, respecté, jalousé, salué jusqu’à terre, et jouissant de toutes les faveurs des puissants et des femmes.

Hélas ! hélas ! un siècle plus tard, la jeunesse, dite des écoles, affichant et pratiquant une morale toute différente de celle des anciens grands seigneurs, s’exaltant au nom de principes sévères, se précipite avec fureur sur les quelques êtres restés seuls dans la tradition du passé, de notre grand passé d’aristocratique élégance, et les jette à l’eau pour voir s’ils nagent.

Et ces victimes supposées, mais non atteintes, ces descendants des roués sont des malheureux, des pauvres, déshérités par la Providence, sans ressources sur le pavé de Paris, et créés avec des instincts de millionnaires, des besoins de dépense mal servis par une mollesse native qui les éloigne du travail.

Ils se sont fait ce raisonnement qui paraîtrait juste si nous ne le savions faux, à savoir : qu’il existe par le monde des milliers de femmes dont la seule profession