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bou-amama

Une caricature spirituelle, faite par un colon, m’a paru expliquer assez bien la situation. Elle représentait un vieux général, gros, galonné, moustachu, debout en face du désert. Il considérait d’un œil perplexe le pays immense, nu et vallonné, dont les limites ne s’apercevaient point, et il murmurait : « Ils sont là !… quelque part ! » Puis, s’adressant à son officier d’ordonnance, immobile dans son dos, il prononçait d’une voix ferme : « Télégraphiez au gouvernement que l’ennemi est devant moi et que je me mets à sa poursuite. »

Les seuls renseignements un peu certains qu’on se procurait venaient des prisonniers espagnols échappés à Bou-Amama. J’ai pu causer au moyen d’un interprète, avec un de ces hommes, et voici ce qu’il m’a raconté.

Il s’appelait Blas Rojo Pélisaire. Il conduisait avec des camarades, le 10 juin au soir, un convoi de sept charrettes, quand ils trouvèrent sur la route d’autres charrettes brisées, et, entre les roues, les charretiers massacrés. Un d’eux vivait encore. Ils se mirent à le soigner ; mais une troupe d’Arabes se jeta sur eux. Les Espagnols n’avaient qu’un fusil ; ils se rendirent : ils furent néanmoins massacrés, à l’exception de Blas Rojo,