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la province d’oran

humaine à tourner les cœurs les plus solides.

La vieille, exténuée, s’assit dans la poussière, haletante sous la chaleur torride. Elle avait une face ridée par d’innombrables petits plis de peau comme ceux des étoffes qu’on fronce, un air las, accablé, désespéré.

Je lui parlai. C’était une Alsacienne qu’on avait envoyée en ces pays désolés, avec ses quatre fils, après la guerre. Elle me dit :

« Vous venez de là-bas ? »

Ce « là-bas » me serra le cœur.

« Oui. »

Et elle se mit à pleurer. Puis elle me conta son histoire bien simple.

On leur avait promis des terres. Ils étaient venus, la mère et les enfants. Maintenant trois de ses fils étaient morts sous ce climat meurtrier. Il en restait un, malade aussi. Leurs champs ne rapportaient rien, bien que grands, car ils n’avaient pas une goutte d’eau. Elle répétait, la vieille : « De la cendre, Monsieur, de la cendre brûlée. Il n’y vient pas un chou, pas un chou, pas un chou ! » s’obstinant à cette idée de chou qui devait représenter pour elle tout le bonheur terrestre.

Je n’ai jamais rien vu de plus navrant que cette