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rendu le cuir de mes bottines plus luisant qu’une glace, je lui donnai deux sous. Il prononça « méci mosieu », mais ne se releva pas. Il restait accroupi entre mes jambes, tout à fait immobile, roulant des yeux comme s’il se fût trouvé malade. Je lui dis : « Va-t’en donc, arbico. » Il ne répondit point, ne remua pas, puis, tout à coup, saisissant à pleins bras sa boîte à cirage il s’enfuit de toute sa vitesse. Et j’aperçus un grand nègre de seize ans qui se détachait d’une porte où il s’était caché et s’élançait sur mon cireur. En quelques bonds il l’eut rejoint, puis il le gifla, le fouilla, lui arracha ses deux sous qu’il engloutit dans sa poche et s’en alla tranquillement en riant, pendant que le misérable volé hurlait d’une épouvantable façon.

J’étais indigné. Mon voisin de table, un officier d’Afrique, un ami, me dit : « Laissez donc, c’est la hiérarchie qui s’établit. Tant qu’ils ne sont pas assez forts pour prendre les sous des autres, ils cirent. Mais dès qu’ils se sentent en état de rouler les plus petits ils ne font plus rien. Ils guettent les cireurs et les dévalisent. » Puis mon compagnon ajouta en riant : « Presque tout le monde en fait autant ici. »

Le quartier Européen d’Alger, joli de loin, a,