Page:Maupassant - Au soleil - Ollendorff, 1902.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
alger

tête et les bras, toujours nu-jambes et nu-pieds, vont, viennent, s’injurient, se battent, vermineux, loqueteux, barbouillés d’ordure et puant la bête.

Tartarin dirait qu’ils sentent le « Teur » (Turc) et on sent le Teur partout ici.

Puis il y a tout un monde de mioches à la peau noire, métis de kabyles, d’arabes, de nègres et de blancs, fourmilière de cireurs de bottes, harcelants comme des mouches, cabriolants et hardis, vicieux à trois ans, malins comme des singes, qui vous injurient en arabe et vous poursuivent en français de leur éternel « cïé mosieu ». Ils vous tutoient et on les tutoie. Tout le monde ici d’ailleurs se dit « Tu ». Le cocher qu’on arrête dans la rue vous demande « Où je mènerai Toi ». Je signale cet usage aux cochers parisiens qui sont dépassés en familiarité.

J’ai vu le jour même de mon arrivée un petit fait sans importance et qui pourtant résume à peu près l’histoire de l’Algérie et de la colonisation.

Comme j’étais assis devant un café, un jeune moricaud s’empara, de force, de mes pieds et se mit à les cirer avec une énergie furieuse. Après qu’il eut frotté pendant un quart d’heure et