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en bretagne

mente, la longue colonne de granit tangue comme un navire, et que l’horloge s’abat face contre terre, et que les objets accrochés aux murs se détachent, tombent et se brisent.

Depuis ce lieu jusqu’au Conquet, c’est le pays des naufrages. C’est là que semble embusquée la mort, la hideuse mort de la mer, la Noyade. Aucune côte n’est plus dangereuse, plus redoutée, plus mangeuse d’hommes.

Au fond des petites maisons basses des pêcheurs, on voit grouiller dans la fange, avec les porcs, une femme vieille, de grandes filles aux jambes nues et sales, et les fils, dont le plus âgé marque trente ans. Presque jamais on ne trouve le père, rarement l’aîné. Ne demandez pas où ils sont, car la vieille tendrait la main vers l’horizon bondissant et soulevé, qui semble toujours prêt à se ruer sur ce pays.

Ce n’est pas seulement la mer perfide qui les dévore ainsi, ces hommes. Elle a un allié tout-puissant, plus perfide encore, et qui l’aide, chaque nuit, en ses gloutonneries de chair humaine, l’alcool. Les pêcheurs le savent, et l’avouent. « Quand la bouteille est pleine, disent-ils, on voit l’écueil. Mais, quand la bouteille est vide, on ne le voit plus. »