Page:Maupassant - Au soleil - Ollendorff, 1902.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
en bretagne

cellements de pierres ; et, gravissant des restes d’escaliers, escaladant les murailles éventrées, m’accrochant aux lierres, aux quartiers de granit à moitié descellés, à tout ce qui tombait sous ma main, je parvins au sommet d’une tour, d’où je regardai la Bretagne.

En face de moi, derrière un morceau de plaine inculte, l’Océan sale et grondant sous un ciel noir ; puis, partout, la lande ! Là-bas, à droite, la mer du Morbihan, avec ses rives déchirées, et, plus loin, à peine visible, une terre blanche illuminée, Vannes, qu’éclairait un rayon de soleil, glissé on ne sait comment, entre deux nuages. Puis encore très loin, un cap démesuré : Quiberon !

Et tout cela, triste, mélancolique, navrant. Le vent pleurait en parcourant ces espaces mornes ; j’étais bien dans le vieux pays hanté ; et, dans ces murs, dans ces ajoncs ras et sifflants, dans ces fossés où l’eau croupit, je sentais rôder des légendes.

Le lendemain, je traversais Saint-Gildas, où semble errer le spectre d’Abeilard. À Port-Navalo, le marin qui me fit passer le détroit me parla de son père, un chouan, de son frère aîné, un chouan, et de son oncle le curé, encore un chouan, morts tous les trois… Et sa main étendue montrait Quiberon.