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le zar’ez

brisés, inertes, mêlés, gisaient sur le sol de feu. Et lui, nous entendant venir, avait levé sa tête, comme un phare. Son front, rongé par l’inexorable soleil, n’était qu’une plaie, coulait ; et son œil résigné nous suivit. Il ne poussa pas un gémissement, ne fit pas un effort pour se lever. On eût cru qu’il savait, qu’ayant vu mourir ainsi beaucoup de ses frères dans ses longs voyages à travers les solitudes, il connaissait bien l’inclémence des hommes. C’était son tour, voilà tout. Nous passâmes.

Or, m’étant retourné longtemps après, j’aperçus encore, dressé sur le sable, le grand col de la bête abandonnée regardant jusqu’à la fin s’enfoncer à l’horizon les derniers vivants qu’elle dût voir.

Une heure plus tard, ce fut un chien tapi contre un roc, la gueule ouverte, les crocs luisants, incapable de remuer une patte, l’œil tendu sur deux vautours qui, près de lui, épluchaient leurs plumes en attendant sa mort. Il était tellement obsédé par la terreur des bêtes patientes, avides de sa chair, qu’il ne tourna pas la tête, qu’il ne sentit pas les pierres qu’un spahi lui lançait en passant.

Et soudain, à la sortie d’un nouveau défilé, j’aperçus devant moi l’oasis.