Page:Maupassant - Au soleil - Ollendorff, 1902.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
province d’alger

flûte enragée, sans un repos, sans une défaillance d’une seconde.

Alors, deux Oulad-Naïl se lèvent, vont se placer aux extrémités de l’espace laissé libre entre les bancs et elles se mettent à danser. Leur danse est une marche douce que rythme un coup de talon faisant sonner les anneaux des pieds. À chacun de ces coups, le corps entier fléchit dans une sorte de boiterie méthodique ; et leurs mains, élevées et tendues à la hauteur de l’œil, se retournent doucement à chaque retour du sautillement, avec une vive trépidation, une secousse rapide des doigts. La face un peu tournée, rigide, impassible, figée, demeure étonnamment immobile, une face de sphinx, tandis que le regard oblique reste tendu sur les ondulations de la main, comme fasciné par ce mouvement doux, que coupe sans cesse la brusque convulsion des doigts.

Elles vont ainsi, l’une vers l’autre. Quand elles se rencontrent, leurs mains se touchent : elles semblent frémir ; leurs tailles se renversent, laissant traîner un grand voile de dentelle qui va de la coiffure aux pieds. Elles se frôlent, cambrées en arrière, comme pâmées dans un joli mouvement de colombes amoureuses. Le grand voile bat comme une aile. Puis, redressées soudain,