de bottes, harcelants comme des mouches, cabriolants et hardis, vicieux à trois ans, malins comme des singes, qui vous injurient en arabe et vous poursuivent en français de leur éternel « Cïé mosieu ». Ils vous tutoient et on les tutoie. Tout le monde ici d’ailleurs se dit « Tu ». Le cocher qu’on arrête dans la rue vous demande : « Où je mènerai Toi. » Je signale cet usage aux cochers parisiens qui sont dépassés en familiarité.
J’ai vu le jour même de mon arrivée un petit fait sans importance et qui pourtant résume à peu près l’histoire de l’Algérie et de la colonisation.
Comme j’étais assis devant un café, un jeune moricaud s’empara, de force, de mes pieds et se mit à les cirer avec une énergie furieuse. Après qu’il eut frotté pendant un quart d’heure et rendu le cuir de mes bottines plus luisant qu’une glace, je lui donnai deux sous. Il prononça « méci mosieu », mais ne se releva pas. Il restait accroupi entre mes jambes, tout à fait immobile, roulant des yeux comme s’il se fût trouvé malade. Je lui dis : « Va-t’en donc, arbico. » Il ne répondit point, ne remua pas, puis, tout à coup, saisissant à pleins bras sa boîte de cirage il s’enfuit de toute sa vitesse. Et