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les entendit, et, comprenant tout, se précipita avec une physionomie si féroce que sa femme, alliée aux Tusoli, chez qui Bonaparte avait passé la nuit, se jeta à ses pieds, suppliante, demandant la vie sauve pour le jeune homme.

Lui, furieux, la repoussa, et il s’élançait dehors quand elle, toujours à genoux, le saisit par les jambes, les enlaçant de ses bras crispés ; puis, battue, renversée, mais, acharnée en son étreinte, elle entraîna son mari, qui s’abattit à côté d’elle.

Sans la force et le courage de cette femme, c’en était fait de Napoléon.

Toute l’histoire moderne se trouvait donc changée. La mémoire des hommes n’aurait point eu à retenir les noms de victoires retentissantes ! Des millions d’êtres ne seraient pas morts sous le canon ! La carte d’Europe n’était plus la même ! Et qui sait sous quel régime politique nous vivrions aujourd’hui.

Car les Morelli atteignaient les fugitifs.

Santo-Riccio, intrépide, s’adossant au tronc d’un châtaignier, leur fit face, criant aux deux jeunes gens d’emmener Bonaparte. Mais lui refusa d’abandonner son guide qui vociférait, tenant en joue leurs ennemis :