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nêtre. Des gens, en face, déjeunent, comme ils déjeunaient hier, comme ils déjeuneront demain : le père, la mère, quatre enfants. Voici trois ans, la grand’-mère était encore là. Elle n’y est plus. Le père a bien changé depuis que nous sommes voisins. Il ne s’en aperçoit pas ; il semble content ; il semble heureux. Imbécile !

Ils parlent d’un mariage, puis d’un décès, puis de leur poulet qui est tendre, puis de leur bonne qui n’est pas honnête. Ils s’inquiètent de mille choses inutiles et sottes. Imbéciles !

La vue de leur appartement, qu’ils habitent depuis dix-huit ans, m’emplit de dégoût et d’indignation. C’est cela, la vie ! Quatre murs, deux portes, une fenêtre, un lit, des chaises, une table, voilà ! Prison ! prison ! Tout logis qu’on habite longtemps devient prison ! Oh ! Fuir, partir ! fuir les lieux connus, les hommes, les mouvements pareils aux mêmes heures, et les mêmes pensées, surtout.

Quand on est las, las à pleurer du matin au soir, las à ne plus avoir la force de se lever pour boire un verre d’eau, las des visages amis vus trop souvent et devenus irritants, des odieux et placides voisins, des choses familières et monotones, de sa maison, de sa rue, de sa bonne qui vient dire : « que désire monsieur pour son dîner », et qui s’en va en relevant à chaque pas, d’un ignoble coup de