Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans les espaces, d'autres points plus imperceptibles encore, des univers plus grands que le nôtre cependant, devaient porter des races peut-être plus parfaites ! Mais un vertige le prit devant l'étendue, et il cessa de penser à ces choses qui lui troublaient la tête. Alors il suivit la terrasse à petits pas, dans toute sa largeur, un peu alangui, comme courbaturé par des réflexions trop lourdes.

Alors qu'il fut au bout, il s'assit sur un banc. Un monsieur s'y trouvait déjà, les deux mains croisées sur sa canne et le menton sur ses mains, dans l'attitude d'une méditation profonde. Mais Patissot appartenait à la race de ceux qui ne peuvent passer trois secondes à côté de leur semblable sans lui adresser la parole. Il contempla d'abord son voisin, toussota, puis tout à coup :

"Pourriez-vous, Monsieur, me dire le nom du village que j'aperçois là-bas ?"

Le monsieur releva la tête et, d'une voix triste :

- C'est Sartrouville.

Puis il se tut. Alors Patissot, contemplant l'immense perspective de la terrasse ombragée d'arbres séculaires, sentant en ses poumons le grand souffle de la forêt qui bruissait derrière lui, rajeuni par les effluves printaniers des bois et des larges campagnes, eut un petit rire saccadé et, l'oeil vif :

- Voici de beaux ombrages pour des amoureux.

Son voisin se tourna vers lui avec un air désespéré :

- Si j'étais amoureux, Monsieur, je me jetterais dans la rivière.

Patissot, ne partageant point cet avis, protesta :

- Hé hé ! vous en parlez à votre aise ; et pourquoi ça ?

- Parce que cela m'a déjà coûté trop cher pour recommencer.