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la troupe aurait donné l'assaut ; ça aurait été un beau spectacle et un enseignement en même temps de voir l'armée renverser elle-même les remparts de la tyrannie. Puis on l'aurait incendiée, cette Bastille ; et au milieu des flammes serait apparue la colonne avec le génie de la Liberté, symbole d'un ordre nouveau et de l'affranchissement des peuples.

Tout le monde, cette fois, l'écoutait sur l'impériale, trouvant son idée excellente. Un vieillard affirma :

- C'est une grande pensée, Monsieur, et qui vous fait honneur. Il est regrettable que le gouvernement ne l'ait pas adoptée.

Un jeune homme déclara qu'on devait faire réciter, dans les rues, les Iambes de Barbier, par des acteurs, pour apprendre simultanément au peuple l'art et la liberté.

Ces propos excitaient l'enthousiasme. Chacun voulait parler ; les cervelles s'exaltaient. Un orgue de Barbarie, en passant, jeta une phrase de La Marseillaise ; l'ouvrier entonna les paroles, et tout le monde, en chœur, hurla le refrain. L'allure exaltée du chant et son rythme enragé allumèrent le cocher dont les chevaux fouaillés galopaient. M. Patissot braillait à pleine gorge en se tapant sur les cuisses, et les voyageurs du dedans, épouvantés, se demandaient quel ouragan avait éclaté sur leurs têtes.

On s'arrêta enfin, et M. Patissot, jugeant son voisin homme d'initiative, le consulta sur les préparatifs qu'il comptait faire :

- Des lampions et des drapeaux, c'est très bien, disait-il ; mais je voudrais quelque chose de mieux.

L'autre réfléchit longtemps, mais ne trouva rien. Alors M. Patissot, en désespoir de cause, acheta trois drapeaux avec quatre lanternes.


VII Une triste histoire