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Mais, Patissot, employé du gouvernement lui-même, le prit de haut, et, d'une voix ferme :

- Le gouvernement, Monsieur, c'est la République.

Son voisin ne fut pas démonté, et, mettant tranquillement ses mains dans ses poches :

- Eh bien, après ?... Je ne m'y oppose pas. La République ou autre chose, je m'en fiche. Ce que je veux, moi, Monsieur, je veux connaître mon gouvernement. J'ai vu Charles X et je m'y suis rallié, Monsieur ; j'ai vue Louis-Philippe, et je m'y suis rallié, Monsieur ; j'ai vu Napoléon, et je m'y suis rallié ; mais je n'ai jamais vu la République.

Patissot, toujours grave, répliqua :

- Elle est représentée par son Président.

L'autre grogna :

- Eh bien, qu'on me le montre.

Patissot haussa les épaules.

- Tout le monde peut le voir ; il n'est pas dans une armoire.

Mais tout à coup le gros monsieur s'emporta.

- Pardon, Monsieur, on ne peut pas le voir. J'ai essayé plus de cent fois, moi, Monsieur. Je me suis embusqué auprès de l'Élysée : il n'est pas sorti. Un passant m'a affirmé qu'il jouait au billard, au café en face ; j'ai été au café en face : il n'y était pas. On m'avait promis qu'il irait à Melun pour le concours : je me suis rendu à Melun, et je ne l'ai pas vu. Je suis fatigué, à la fin. Je n'ai pas vu non plus M. Gambetta, et je ne connais pas même un député.

Il s'animait.

- Un gouvernement, Monsieur, ça doit se montrer ; c'est fait pour ça, pas pour autre chose. Il faut qu'on sache : tel jour, à telle heure, le gouvernement passera par telle rue. De cette façon on y va et on est satisfait.