Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée

faire ce mouvement avec élégance, quand sa ligne, qu'il venait d'enlever d'un coup de poignet rapide, se trouva arrêtée quelque part derrière lui. Il fit un effort ; un grand cri éclata dans son dos, et il aperçut, décrivant dans le ciel une courbe de météore, et accroché à l'un de ses hameçons, un magnifique chapeau de femme, chargé de fleurs, qu'il déposa, toujours au bout de sa ficelle, juste au beau milieu du fleuve.

Il se retourna effaré, lâchant sa ligne, qui suivit le chapeau, filant avec le courant, pendant que le gros monsieur, son nouvel ami, renversé sur le dos, riait à pleine gorge. La dame, décoiffée et stupéfaite, suffoquait de colère ; le mari se fâcha tout à fait, et il réclamait le prix du chapeau, que Patissot paya bien le triple de sa valeur.

Puis la famille partit avec dignité.

Patissot prit une autre canne, et, jusqu'au soir, il baigna des asticots. Son voisin dormait tranquillement sur l'herbe. Il se réveilla vers sept heures.

- Allons-nous-en ! dit-il.

Alors Patissot retira sa ligne, poussa un cri, tomba d'étonnement sur le derrière, au bout du fil, un tout petit poisson se balançait. Quand on le considéra de plus près, on vit qu'il était accroché par le milieu du ventre ; un hameçon l'avait happé au passage en sortant de l'eau.

Ce fut un triomphe, une joie démesurée. Patissot voulut qu'on le fît frire pour lui tout seul.

Pendant le dîner, l'intimité s'accrut avec sa nouvelle connaissance. Il apprit que ce particulier habitait Argenteuil, canotait à la voile depuis trente ans sans découragement, et il accepta à déjeuner chez lui pour le dimanche suivant, avec la promesse d'une bonne partie de canot dans le Plongeon, clipper de son ami.